Homélie du 1er dimanche de Carême 2023

Abbé Paul Roland-Gosselin, prêtre

Chers frères et sœurs,

« Elle prit de son fruit, et en mangea.
Elle en donna aussi à son mari,
et il en mangea. »

Voilà comment est rapporté, en quelques mots, le drame de l’humanité tout entière du premier jusqu’au dernier homme : le péché originel.

Et voilà quelles en est la conséquence immédiate :

« Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent
et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus. »

Curieuse remarque qui semble insister sur un point de détail qui semble un peu absurde. Il était temps qu’ils se rendent compte qu’ils étaient nus. Et quel rapport entre le fait de manger un fruit et de se sentir nu ?

Aucun à priori. Et pourtant …

Et pourtant, c’est bien là notre drame qui se joue ici.

L’homme et la femme sont créés à l’image de Dieu, à sa ressemblance, c’est-à-dire faits pour aimer de l’amour même de Dieu, l’amour oblatif, autrement dit, l’amour don-de-soi.

Et cette vocation à l’amour oblatif devait s’accomplir dans notre être tout entier : corps et âme. Or, en désobéissant à Dieu, en sortant de la logique de l’amour, l’homme et la femme sont sortis de l’amour oblatif qui est devenu un amour captatif.

Et c’est pour cela qu’ils se rendent compte qu’ils sont nus, car le regard de l’autre sur sa nudité, désormais est un regard de convoitise, un désir de posséder l’autre. Le corps n’est plus sujet du don de soi mais objet du plaisir égoïste. Alors Adam et Eve se font des pagnes avec des feuilles de figuier pour ne plus être objet de la convoitise du regard de l’autre.

Voilà la blessure originelle de l’humanité.

Le péché originel vient détruire l’harmonie première de la Création si parfaite que Dieu a faite.

Et désormais, l’Homme est blessé dans son humanité tout entière, jusque dans sa sexualité, lieu du don de soi par excellence. Et il nous devient pénible de choisir de vivre d’amour, car nous sommes blessés par le péché originel. Si l’homme reste à l’image de Dieu, il en perd la ressemblance.

Et tout l’enjeux de notre vie chrétienne, avec la grâce de Dieu va consister à retrouver la ressemblance avec Dieu, c’est-à-dire à retrouver l’harmonie qu’offre l’amour oblatif.

Où donc doivent se situer nos efforts ?

L’Evangile que nous venons d’entendre donne trois lieux, à travers les trois tentations du Christ, trois lieux où nous sommes habituellement tentés et où il nous faut donc être attentifs.

  • La première tentation : le diable propose à Jésus d’utiliser sa puissance divine pour modifier l’ordre naturel (changer une pierre en pain) afin de répondre à son appétit sensible : la faim. Utiliser sa puissance divine pour lui et rien que pour lui. C’est bien la même tentation qui revient si souvent, pour nous, lorsque nous laissons nos appétits sensibles nous tyranniser, en vue d’autre chose que de faire le bien. Et ces appétits, s’ils ne sont pas canalisé, dompté par la droite raison, alors ils nous tournent vers nous même : amour captatif.
  • La deuxième tentation : le diable propose à Jésus d’obliger le Père Tout-Puissant à déployer sa puissance pour Lui, comme pour lui prouver qu’il l’aime. C’est chercher à faire tourner le monde autour de soi. C’est la tentation de l’orgueil. Là encore c’est de l’amour captatif que propose le diable.
  • La troisième tentation : le diable demande à Jésus de se prosterner devant lui pour recevoir gloire et richesse de ce monde. Ici, c’est la tentation des idoles or « tu adoreras Dieu seul ». Cette tentation intervient lorsque nous inversons l’ordre des priorités. Par exemple quand une idéologie devient plus importante pour nous que l’Evangile. Lorsque l’argent devient le but de notre existence. Lorsque les jeux-vidéos, les écrans passent devant notre devoir d’état. Finalement lorsque nous faisons passer quoique ce soit ou qui que ce soit avant Dieu : ce n’est pas vraiment de l’amour, c’est là encore de la captation.

Les trois tentations concernent donc : nos appétits, l’orgueil et les idoles.

Trois lieux à surveiller car trois lieux de tentation. Mais trois lieux, qui, avec la grâce de Dieu reçue dans les sacrements peuvent retrouver leur sens premier : celui d’être les lieux du don de soi, de l’amour oblatif.

Demandons la grâce, au Seigneur d’être fidèle à l’amour oblatif en ce temps de Carême.

Amen


Supplément : Deux écueils à éviter, quiétisme et pélagianisme

Face à ce constat, si nous reconnaissons que le Christ est notre sauveur, il y a deux pièges à éviter : le pélagianisme et le quiétisme.

Le pélagianisme consiste à tenter de devenir saint, pur de tout péché, sans la grâce de Dieu, uniquement en s’appuyant sur nos propres forces.

En réalité, c’est tellement pénible que nous sommes incapables, par nous-même d’arriver à retrouver la candeur première et inévitablement il nous faut nous tourner vers Dieu pour implorer son aide, sa miséricorde.

C’est donc un premier acte d’humilité de regarder cela : ma nature est blessée, il m’est pénible de faire le bien. C’est normal. Ce n’est pas bon, mais c’est normal.

C’est alors que le sacrement de la Réconciliation entre en jeux : ce n’est pas le sacrement qui constate simplement notre échec, c’est le sacrement qui implore l’aide de Dieu, celui qui nous relève ; celui par lequel nous décidons de marcher avec le Seigneur, main dans la main. Jean-Jacques Goldman marchait seul, nous nous marchons avec Dieu, à condition de saisir la main qu’il nous tend dans le sacrement de la Réconciliation.

Le quiétisme consiste à attendre de Dieu qu’il nous sauve sans que nous ne fassions rien d’autre que de prier, sans avoir à faire d’efforts pour notre propre conversion.

Le quiétisme comme le pélagianisme ont été condamnés par l’Eglise dès les premiers temps du Christianisme. La conversion pour retrouver la ressemblance de Dieu nécessite la grâce de Dieu, son intervention (dont les sacrements et la prière sont le laisser-passer) mais aussi nos efforts personnels.